La liberté d’expression est une des garanties de principe de la démocratie, une de nos libertés les plus fondamentales, ainsi que nous l’avons toujours rappelé (voir notre article sur le sujet dans notre Dossier spécial E-réputation), avant de signaler que la liberté n'est en aucun cas de la licence, où tout serait permis. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ne clame pas autre chose dans son article 11 lorsqu’elle précise, après avoir proclamé cette liberté "sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi".
La question de l'abus de cette liberté s'est posée récemment dans un contentieux ayant vu le licenciement d'un salarié qui avait adressé un courriel contenant de vives critiques contre son employeur au moment de la négociation d'un accord d'entreprise, aux représentants syndicaux et aux salariés de cette entreprise. Les mots utilisés étaient assez forts, au point que l'employeur estima qu'il y avait injure, diffamation et abus de la liberté d'expression, justifiant le licenciement de l'intéressé.
Compte tenu du fait que les propos avaient été diffusés en privé un petit nombre de destinataires (par opposition à une mise en ligne publique sur internet), la Cour d'appel de Versailles, le 4 décembre 2014 avait estimé que les propos tenus relevaient du débat au moment de la passation d'un accord d'entreprise et qu'en conséquence, le salarié n'avait en rien outrepassé le champ de sa liberté d'expression. Ce que la Cour de cassation a confirmé dans un arrêt du 19 mai 2016.
Critéres de choix
Pour tenter de trouver un fil conducteur dans ce qui pourrait passer pour une appréciation quelque peu subjective faite par des magistrats qui ne sont que des hommes, nous proposons au moins deux pistes.
Les termes d'un débat animé
La première est le contexte d'un débat au sein d'une entreprise où chacun peut choisir de s'exprimer par les moyens qu'il entend (oral, courriel ou texto), dans la limite de sa liberté d'expression. Le débat pouvant être houleux, même par courriel interposé, une certaine latitude dont l'excessivité de propos peut être admise, un peu comme en politique où la parole, et même l'agressivité, sont beaucoup plus libres que par exemple dans un contentieux de droit de la consommation.
Si le salarié avait usé de termes véritablement orduriers ou lourdement diffamatoires, même en l'absence de publicité des messages, l'employeur aurait pu invoquer légitimement la faute de droit du travail et même la contravention d'injure non publique, dont on oublie souvent l'existence, incriminée par l'article R.621-2 du code pénal (notre actualité du 25 avril 2013).
Mais au vu des termes rapportés dans l'arrêt de la Cour de cassation, cela ne fut donc pas le cas, d'autant plus que, vraisemblablement, l'avocat de l'employeur n'avait pas dû invoquer ce terrain juridique (le juge est tenu par les moyens juridiques que les parties invoquent).
La publicité donnée aux propos
L'autre piste est la publicité qui est faite aux propos. Dès lors que le message était clairement adressé aux seuls salariés et syndicalistes de l'entreprise, il ne pouvait y avoir publicité au sens large, comme par exemple si les propos avaient été tenus et/ou repris sur la partie publique d'un réseau social (voir notre actualité précitée dont le terrain d'action était la partie privée d'un compte Facebook).
En savoir plus
Voir l'arrêt de la Cour de cassation du 19 mai 2016, sur Legalis.net :
www.legalis.net/spip.php?page=jurisprudence-decision&id_article=5025
Et la présentation qui en est faite :
www.legalis.net/spip.php?page=breves-article&id_article=5026