En effet, la question n'est pas que théorique, elle a aussi des effets de droit non négligeables puisque notamment les actes officiels sont exclus du champ d'application du droit d'auteur. Jusqu'où peut-on se permettre de reprendre des documents officiels sans risquer la contrefaçon ? Cette question nous paraît indissociable de la pratique de l'information et de la documentation juridiques ; c'est une question professionnelle essentielle : qu'est-ce qui est libre de droit, qu'est-ce qui ne l'est pas ?
Nous tentons donc de délimiter le plus clairement possible les trois cercles de notions que sont les données publiques, les documents administratifs et enfin les actes officiels.
L'accès aux documents communautaires, sous-tendu par le concept de transparence, prévaut également au sein des instances de l'Union européenne. Nous l'évoquons pour finir.
Les données publiques
Le terme de données publiques a vu le jour au cours des années 90. Il a pris tout son sens à l'issue du discours d'Hourtin (25 août 1997) du Premier ministre Lionel Jospin, appelant de ses vœux à une plus grande transparence de l'administration et des instances étatiques en général et donnant ainsi le coup d'envoi d'un rapide basculement vers une certaine transparence des ministères, bientôt tous tenus d'avoir un site Internet. Ceci coïncida avec la volonté du président du Sénat de l'époque, de doter cette vénérable institution, vue souvent comme passéiste et vieillotte, d'un site Internet des plus performants et des plus dynamiques. L'Assemblée nationale suivra de peu et aujourd'hui, on connaît une transparence remarquable du travail législatif.
Cette mystique de l'accès aux données publiques a aussi touché les instances européennes (cf. ci-dessous).
D'aucuns se sont essayés à définir la notion de donnée publique. Pour nous, il s'agit de données (ce qui dépasse les textes sur lesquels existerait notamment un droit d'auteur) émanant du secteur public pris dans son sens le plus large (secteur public, administrations, entreprises privées chargées d'une mission de service public). Nous n'inventons rien, nous n'appliquons que les divers textes notamment la loi d'accès aux documents administratifs, la loi Informatique, fichiers et libertés et la loi sur les archives.
Donnée publique et document administratif
À première vue, on pourrait penser que les deux expressions sont de simples synonymes, les pouvoirs publics ayant eu envie de rajeunir le concept dans la foulée du discours d'Hourtin, précité. Il n'en est rien. Les deux réalités recouvrent des grandeurs différentes.
En effet, l'art. 1er Alinéa 2 de la loi du 17 juillet 1978 exclut des documents administratifs certains documents à raison de leurs auteurs. C'est le cas de ceux qui émanent des assemblées parlementaires. Il est bien évident qu'en vertu du principe de séparation des pouvoirs, le législateur ne peut être assimilé à une administration puisque l'Administration est l'agent du pouvoir exécutif. Il est donc logique d'exclure les documents émanant du Parlement, lieu d'exercice du pouvoir législatif. Encore doit-on préciser qu'au sein des documents émanant du Parlement, il convient de distinguer ceux qui sont créés pour le fonctionnement administratif des assemblées (budget, personnel, etc.) et qui sont administratifs puisqu'ils émanent de fonctionnaires. En revanche, tout ce dont les assemblées parlementaires elles-mêmes sont auteurs et tout ce qui est publié par elles, échappe à la qualification de documents administratifs (rapports, propositions de lois, débats, etc.).
En conséquence, il faut considérer qu'il existe des données publiques qui ne sont pas des documents administratifs dont notamment les documents parlementaires.
Les actes officiels
La notion d'acte officiel n'a jamais été définie juridiquement. Il s'ensuit une relative incertitude sur le périmètre exact de cette réalité, et par conséquent sur l'exonération de droit d'auteur concernant ces actes. Il existe en effet une règle, elle-même purement coutumière, non écrite, qui veut que les actes officiels soient exclus du champ d'application du droit d'auteur, donc libres de toute exploitation. Il convient donc, devant ce vide, de retrouver le raisonnement juridique qui justifie une telle exemption.
Prémisses : un système de droit positiviste
Dans un système de droit positiviste, nous l'avons évoqué , la seule manière de prendre connaissance des règles à appliquer est la diffusion de celles-ci à tous. D'où l'adage Nul n'est censé ignorer la loi.
Notion d'acte officiel
Si cet adage est bel et bien le fondement de l'exclusion, alors la notion d'acte officiel est simple à définir : il va s'agir de tout texte s'imposant au citoyen, c'est-à-dire de tout texte ayant force obligatoire et que tout citoyen doit respecter. Mais en conséquence, seuls les textes de droit écrit ayant force obligatoire peuvent être exclus du droit d'auteur.
Liste des actes officiels exclus du droit d'auteur et donc librement copiables
Il suffit de reprendre la hiérarchie des normes. Nous aurons ainsi :
- la Constitution
- le droit communautaire (originaire et dérivé)
- les lois et textes assimilés (notamment les ordonnances)
- les décrets
- les arrêtés de tout niveau (ministériels, préfectoraux, municipaux)
- mais aussi les actes réglementaires des collectivités locales
- les circulaires, même s'il y a débat sur cette question (1).
Les textes officiels soumis au droit d'auteur
Si le critère est celui de la force obligatoire, il convient de l'appliquer rigoureusement. En conséquence, ne sont pas exclus du droit d'auteur au titre des actes officiels tous les documents émanant de l'administration ou d'organes non gouvernementaux.
A fortiori, les autres documents indicatifs émanant de l'administration, tels que rapports, notes, avis, recommandations, etc., ne sont pas exclus du droit d'auteur.
De la même manière ne sont pas exclus les documents d'étude parlementaires (non gouvernementaux), et même, si l'on voulait pousser le principe au bout, les textes de lois votés par les assemblées avant leur promulgation (c'est la promulgation qui leur donne force obligatoire).
Incidences de la loi sur l'accés au document administratif
La solution que nous soutenons ici pourrait paraître douteuse. D'autant plus que le citoyen dispose, depuis la loi du 17 juillet 1978, d'un droit d'accès au document administratif. N'est-ce pas reconnaître implicitement une exclusion des documents en question du droit d'auteur ?
Ce serait confondre deux ordres d'idées que sont l'accès à un document et le droit d'auteur sur ce document. La réponse est dans la loi elle-même. L'art. 10 de la loi du 17 juillet 1978, dispose très clairement :
« Les documents administratifs sont communiqués sous réserve des droits de propriété littéraire et artistique.
L'exercice du droit à la communication institué par le présent titre exclut, pour ses bénéficiaires ou pour les tiers, la possibilité de reproduire, de diffuser ou d'utiliser à des fins commerciales les documents communiqués. »
La règle est donc très claire et confirme notre analyse. Il existe bien un droit d'auteur de l'administration ou des auteurs appartenant à l'administration, et la loi a entendu les voir respecter. De sorte que l'exercice du droit d'accès s'apparente à une sorte d'exception pour usage privé du copiste.
L'union européenne et la transparence
Depuis le traité de Maastricht (2) et une déclaration interministérielle du 25 octobre 1993, l'Union européenne porte très officiellement ses efforts pour parvenir à une plus grande transparence du travail des institutions.
Les fondements de ce travail résident actuellement dans le Règlement n°1049/2001 du Parlement et du Conseil du 30 mai 2001 relatif à l'accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (3). Il met en œuvre le principe d'accès au document avec une procédure de demande d'accès. Mais, par rapport à nos administrations nationales, il va plus loin. Son article 11 prévoit que chaque institution tient et doit rendre accessible, au plus tard le 3 juin 2002, un registre de ses documents qui devrait être consultable sous forme électronique. Cette disposition fonde l'existence des registres ou répertoires disponibles sur les sites institutionnels communautaires. L'article 12 prévoit que l'ensemble des documents doit être, dans toute la mesure du possible, accessible directement sous forme électronique. À défaut, le registre doit indiquer la localisation du document afin que la demande d'accès puisse être formulée. Enfin, l'article 13 énumère les types de textes qui font l'objet d'une publication au Journal officiel des Communautés européennes.
La Commission a modifié son règlement intérieur, par voie de décision prise en application du règlement cité (4). L'article 9 dresse la liste des documents qui doivent être rendus directement accessibles par voie électronique (sur le site EUROPA).
Toujours au titre de cette transparence, les institutions, spécialement la Commission, travaillent sur une simplification des textes et sur leur codification afin de rendre plus accessible et plus compréhensible le droit communautaire (5).
Sur cette question de la transparence vue plus largement, garante de démocratie, il faudrait encore noter les efforts de la Commission pour consulter les acteurs de la vie sociale et économique de l'Union sans transiter par les positions des gouvernements des États membres. C'est ainsi que des consultations sont régulièrement lancées par la Commission et que des auditions ont lieu lors de la préparation des propositions de règlements ou de directives ou dans l'élaboration des livres verts ou blancs. Ces auditions permettent de recueillir directement les avis des acteurs économiques, en présence bien sûr de représentants des États membres en qualité d'observateurs. Ce point est tout à fait important à retenir dans une perspective de veille : s'il est possible de se rapprocher des organismes ou personnes ainsi consultés, ceux-ci peuvent être détenteurs d'informations inédites.
|cc| Didier Frochot - novembre 2003
Notes :
1. Il nous paraît évident qu'elle ont une autorité relative similaire à celle des décisions de justice (autorité de chose jugée) puisque les administrations doivent les appliquer. Or, les décisions de justice sont elles aussi, aux termes de la même règle coutumière, exemptes de droit d'auteur.
2. Déclaration n°17 du traité.
3. Publié au JOCE L n°145 du 31 mai 2001.
4. Décision de la Commission du 5 décembre 2001, modifiant son règlement intérieur - JOCE L n°345 du 29 décembre 2001.
5. Sur la codification européenne, cf. fiche sur la Codification.