Aspect multiforme de l'information

La fortune des Rothschild : la valeur éphémère de l'information

L'histoire est célèbre, nous la rapportons telle que transmise par la tradition. Nous sommes en 1815, lors du retour de l'Empereur de l'île d'Elbe. Les troupes de la coalition contre l'ogre corse se massent du côté de l'actuelle Belgique. Le 18 juin, Napoléon livre sa dernière bataille, qu'il perdra comme chacun sait : c'est Waterloo. Rothschild, financier sur la place de Londres s'est doté d'un réseau de communication efficace qui l'informe en un temps record des nouvelles du front. Il a compris que l'affaire est hautement stratégique. La victoire de Napoléon aurait pour le Royaume Uni de terribles conséquences économiques, avec notamment la continuation de l'effort de guerre, du blocus continental, etc. Grâce à son réseau d'information sur le continent, le Baron de Rothschild apprend donc avant tout le monde, la nouvelle de la victoire de Wellington. La valeur des affaires est au plus bas et il rachète ainsi un grand nombre d'entreprises. Quelques heures plus tard, lorsque la vraie nouvelle de la victoire définitive des forces armées de la coalition sur l'Empereur arrive, il est un homme riche...
Cet exemple montre le caractère éphémère de la valeur d'une information. Une information à un instant « t » revêt une valeur immense. L'instant d'après, elle ne vaut plus rien. Que s'est-il passé entre temps ? L'information est tombée dans le domaine public. Elle a été largement diffusée. Tout le monde en dispose : elle perd sa valeur stratégique donc sa valeur économique ; on sait qu'en économie la valeur d'un bien se mesure notamment à sa rareté. Les mécanismes techniques de réservation de l'information (chiffrement, cryptage) et juridiques (délit de divulgation de secret de fabrique, de violation de secret professionnel, etc.) ont été créés pour limiter la diffusion d'une information confèrant un avantage à son détenteur.

L'information, richesse intellectuelle multipliable

L'information revêt une autre caractéristique très particulière : elle est le seul bien pouvant être donné sans que le détenteur en soit dépossédé (1). L'information est ainsi de nature purement intellectuelle, se multipliant à l'infini et enrichissant tous les êtres qu'elle touche. Cette caractéristique devrait faire réfléchir sur la nature du commerce à réaliser avec cette étrange denrée.
C'est sans doute un des fondements du principe inscrit dans beaucoup de déclarations de droits : l'accès à la connaissance pour tous. Présent en filigranes dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ce droit est aujourd'hui indirectement consacré par la Déclaration universelle des droits de l'homme de l'ONU signée en décembre 1948, et repris dans la déclaration européenne de droits de l'homme (celle du Conseil de l'Europe). Ce droit est aussi rappelé dans la Charte de l'UNESCO sur la bibliothèque publique (2).
Il est à noter également que dans tous les systèmes de droit d'auteur connus au monde, il est un grand principe : celui de la libre circulation des idées, insusceptibles d'appropriation par qui que ce soit. Les idées n'appartiennent à personne et sont dites de libre cours (cf. le paragraphe sur ce sujet in Droit d'auteur, mode d'emploi).

Vers une tarification de l'information ?

Les deux premières séries de réflexions ci-dessus donnent beaucoup à réfléchir, nous l'avons souligné, sur la valeur économique et donc sur le commerce de l'information. Elles incitent notamment à se pencher sur la question de la tarification. Peut-on l'établir uniformément ? A cette question il vient quelques objections de bon sens. Tout dépend, nous dira-t-on, de l'usage qui en est fait. Un économiste retraduirait : tout dépend du coefficient d'urgence, multiplicateur d'un prix supposé objectif, qui fait que je suis prêt, compte tenu de l'importance et de l'urgence du besoin que j'ai de détenir telle information, à payer un prix sans rapport avec le coût de production de l'information, de sa mise en forme et de sa mise en circulation. Tout dépend aussi du rapport entre le coût de production, de mise en forme et de mise en circulation et le nombre d'usagers qui vont souhaiter la consommer. Tout va en outre dépendre de la fraîcheur de l'information. Si on peut penser que la distribution d'une information ne dépossède pas son détenteur, le fait de la partager avec tous peut en faire perdre sa valeur économique, fondée elle sur la rareté... On le voit par ces quelques touches qui ne se veulent pas exhaustives, la question de la tarification d'un tel bien est quelque peu problématique. Cette difficulté tient à la fois au côté très éphémère de certaines données d'information et au fait que la valeur économique d'un bien est fondée principalement sur la rareté, secondairement sur le besoin (et l'urgence de celui-ci).
Au passage, cette difficulté explique le lent basculement de l'Internet libertaire et communautariste du monde de la recherche vers l'émergence de l'Internet marchand. Partant du principe qu'on ne donne pas ce qu'on vend, une partie de l'Internet se ferme et devient payante, tandis qu'une autre partie reste ouverte, sur la base du libre accès à la connaissance pour tous.

|cc| Didier Frochot — septembre 2000 — décembre 2003

Notes :

1. C'est notamment Thomas Jefferson, un des rédacteurs de la constitution des États-Unis, qui l'a montré.
2. Manifeste adopté, dans sa version anglaise, en novembre 1994.

Didier FROCHOT