Aspects juridiques des fonctions de veille

Droit applicable

Droit de la responsabilité civile contractuelle (art. 1134 et suivant du code civil)
Droit de la responsabilité civile sans contrat (art. 1382 et suivants du même code)
Tous les textes sur la sûreté de l’État, la défense et la sécurité publique
Divulgation de secret de fabrique (art. L.621-1 du code de la propriété intellectuelle)
Droit d’auteur (Livre 1er du même code)

Les risques du métier

Responsabilité du fournisseur d’information

Un veilleur est d’abord un fournisseur d’information. À ce titre, il engage sa responsabilité civile : contractuelle ou « délictuelle » – c’est-à-dire en dehors de tout contrat (ne pas confondre avec « délictueux » qui relève du pénal).
À l’égard de son demandeur, le veilleur est en contrat puisqu’il s’engage à faire quelque chose (en l’occurrence une veille) pour le compte de quelqu’un (ce qui est une partie de la définition du contrat — art. 1134 du code civil). Il en est ainsi lorsque le demandeur est un client et non l’employeur du veilleur. Dès lors que sa mission est défaillante, il engage sa responsabilité contractuelle. Vis-à-vis de son employeur, il répond de sa mission sur la base de son contrat de travail et ses défaillances s’analyseront en fautes professionnelles, légères, graves ou lourdes avec les sanctions habituelles du droit du travail.
La responsabilité en dehors de tout contrat peut survenir à l’égard des tiers. Imaginons que le veilleur fournisse des données inexactes sur une entreprise tierce, et que cette fourniture cause un préjudice à celle-ci (écartée d’un marché, ou dénigrée sur Internet sur la foi de ces informations fausses), la responsabilité du veilleur (ou de son entreprise) pourra être engagée sur la base des article 1382 et suivants du code civil : tout fait qui cause un préjudice à autrui entraîne la réparation de celui-ci par l’auteur des faits (1382). L’employeur est responsable du fait de ses employés ou stagiaires (1384) : c’est donc lui qui répondra de la responsabilité civile, avec, le cas échéant, la possibilité de se retourner contre son employé ou stagiaire en cas de faute lourde. L’entreprise du veilleur pourra donc être condamnée à indemniser la victime du préjudice subi.
Dans un cas comme dans l’autre, les causes d’engagement de la responsabilité sont variées : fourniture d’informations incomplètes alors que présentées comme exhaustives ; insuffisance des résultats ; non fourniture d’information pertinente... Ce dernier cas peut survenir lorsqu’un veilleur laisse passer hors des mailles de son filet des informations qu’il aurait dû fournir à son demandeur. La jurisprudence a eu à plusieurs reprises à se prononcer sur la responsabilité du fournisseur d’information, notamment en matière de renseignement commercial erroné, fourni par un prestataire spécialisé dans le domaine. C’est le cas dans un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 14 mars 1978.
Notons que, dans le cadre contractuel, il est possible d’inscrire des clauses pénales pour indemniser forfaitairement tout type de défaillance quant à l’exhaustivité, l’exactitude, la rapidité de fourniture des informations. Il est aussi possible d’insérer des clauses limitatives de responsabilité.

L’espionnage, la violation des secrets, la protection des savoir-faire

La frontière peut être parfois mince entre veille et espionnage. On sait que les veilleurs se cantonnent à l’exploitation de l’information blanche (publiée) et grise (diffusée) et ne doivent jamais aller sur le terrain de l’information noire (Sûreté de l’État, défense, sécurité publique, mais aussi secret de fabrique et les nombreux secrets professionnels variant d’un métier à l’autre, et les savoir-faire protégés). Dans ce contexte, passer la frontière de l’information noire entraîne le plus souvent des risques pénaux, doublés de risques civils puisque les victimes pourront demander à être indemnisées. La liste des infractions relevant de ce domaine est trop longue pour être énumérée ici. Elles sont soit incriminées par des textes généraux (pour les trois grands enjeux d’État signalés ci-dessus), soit par des textes de codes de déontologie, soit relèvent de sanctions disciplinaires déontologiques non pénales. Dans tous les cas de figure, infraction pénale ou pas, rappelons que dès qu’il y a préjudice, il y a place pour une demande d’indemnisation de la part de la victime.
Nous citerons plus particulièrement la divulgation de secret de fabrique, érigée en délit par l’article L.621-1 du code de la propriété intellectuelle, reprenant l’article L.152-7 du code du travail, punissable de deux ans de prison et de 30 000 euros d’amende.
La notion de secret de fabrique a été rappelée par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 12 juin 1974. La Cour l’a elle-même résumé : « Présente le caractère de "secret de fabrique" au sens de l'article 418 du code pénal [devenu l’article L.621-1 du code de la propriété intellectuelle en 1992], qui en punit la communication à des tiers par les directeurs, commis ou ouvriers de fabrique, tout procédé de fabrication offrant un intérêt pratique ou commercial, mis en œuvre par un industriel et tenu par lui caché à ses concurrents, qui, avant la communication qui leur en a été faite, ne le connaissaient pas. L'intention frauduleuse, que les juges du fond apprécient souverainement, est un élément essentiel de communication de secret de fabrique ».
Il existe une autre catégorie d’éléments d’information, protégeable par le droit : le savoir-faire. C’est l’ensemble des pratiques et expériences développées par une personne ou une entreprise et qui lui donnent un avantage concurrentiel. Nombreuses sont les entreprises qui enferment ce savoir-faire dans des obligations contractuelles telles que des clauses de réservation de savoir-faire (confidentialité, non réutilisation…) imposées aux partenaires, aux salariés, à toutes les personnes qui approchent de près l’entreprise et ses modes de fonctionnement. La divulgation de ce genre de connaissance, relève donc de la faute contractuelle, en général soumise à indemnisation forfaitaire prévue par les clauses de la convention de réservation de savoir-faire.
Dans tous ces cas, le veilleur doit prendre garde à ne pas outrepasser toutes ces frontières. C’est pourquoi de nombreux syndicats professionnels et associations de veilleurs se sont dotés de chartes de déontologie.

Et le droit d’auteur ?

Comme tout professionnel de l’information, le veilleur doit être respectueux de la propriété intellectuelle d’autrui. Si les informations et les idées sont librement diffusables, leur mise en forme, notamment dans des textes, est protégée par la propriété intellectuelle au profit de leurs auteurs. Il s’ensuit que la reprise et la diffusion de textes pertinents pour un sujet de veille ne peut pas plus se faire sans l’accord de l’auteur que dans les fonctions documentaires classiques (article L.122-4 du code de la propriété intellectuelle). Et le délit de contrefaçon reste le même (3 ans de prison et ses 300 000 euros d’amende – articles L.335-1 et suivants du même code). Quelques exceptions, toujours les mêmes, demeurent : courtes citations, usage privé du copiste (au bénéfice de l’usager final – article L.122-5), résumé documentaire court (dernier arrêt Le Monde / Microfor – Cour de cassation, Assemblée plénière, 30 octobre 1987).
Mais il est peut-être plus facile, dans le cadre de missions de veille, d’extraire l’information et les idées, libres par définition, et de les reformuler avec des mots à soi, sous forme de synthèses, de résumés, de brèves, etc. Dans de tels cas, rien de protégé n’est emprunté à l’auteur. Cependant, le veilleur devient lui-même auteur de ses synthèses, résumés et brèves.

À retenir

La veille peut se révéler un exercice dangereux si elle se pratique sans conscience. Un certain nombre de précautions sont donc à prendre, relativement aux propriétés intellectuelles et aux responsabilités pénale et civile.

|cc|Didier Frochot — décembre 2010

Didier FROCHOT