I. Une spécificité fonctionnelle
La documentation est apparue à un moment où la société devait affronter une explosion de l'information sans précédent. Il s'agit donc d'une véritable réaction destinée à guider les individus dans ces nouveaux gisements informationnels. Pour P.Otlet, " les buts de la documentation organisée consistent à pouvoir offrir sur tout ordre de fait et de connaissance des informations documentées : 1° universelles quant à leur objet, 2° sûres et vraies, 3° complètes, 4° rapides, 5° à jour, 6° faciles à obtenir, 7° réunies d'avance et prêtes à être communiquées, 8° mises à la disposition du plus grand nombre. "(1) Le point de vue de l'utilisateur marque donc le point de départ de cette démarche, la fonction primordiale de la documentation demeurant la diffusion de l'information.
A ce défi de l'explosion de l'information, la documentation répond donc rapidement par ses méthodes et ses moyens. Mais, on en vient vite à lui attribuer une spécificité technique en identifiant simplement la profession à la fameuse chaîne documentaire : collecte-traitement-diffusion. Cette perception a favorisé le développement d'une conscience instrumentale de notre métier aux dépens d'une vision pleinement fonctionnelle. (2) Dès lors, certains n'hésitent pas à prédire la fin prochaine de notre profession, provoquée par les progrès technologiques.
Toutefois, selon Marie-France Blanquet, " si nous donnons à la documentation une seule fonction technique, tout le savoir et le savoir-faire sur lesquels elle repose seront à plus ou moins brève échéance automatisés. (...) Toutes ces techniques que nous utilisons encore aujourd'hui seront dépassées demain. Elles sont encore valables à l'ère de l'artisanat documentaire. Elles disparaîtront à l'ère de l'industrie documentaire. Disparaissent aussi les savoirs et les savoir-faire documentaires comme ont disparu, avec l'électricité, les moulins à vent et les meuniers qui les faisaient tourner. Si, au contraire, nous voyons dans la documentation autre chose qu'une fonction technique de mémorisation, liée à des méthodes, à des outils, alors nous pouvons affirmer que les méthodes passent, les outils changent mais la fonction documentaire demeure.(...) La documentation repose essentiellement sur des facultés spécifiquement humaines. Pour mémoriser de l'information, il faut d'abord savoir la trouver, la sélectionner, l'évaluer ; cela demande créativité, curiosité, intelligence. Pour savoir distribuer l'information, il faut savoir s'adapter, comprendre ; et cela repose sur l'intelligence et l'intuition, facultés non encore automatisées ! " (3)
Diverses démarches d'action peuvent ainsi être entreprises par les professionnels de l'I-D :
- La démarche service, tout d'abord, qui consiste à répondre aux besoins des utilisateurs.(4) A côté de la diffusion de l'information, on trouve une autre fonction documentaire essentielle : la médiation. Il est certain qu'une des missions principales est d'assurer la mise en relation entre des demandeurs d'information et des ressources informationnelles.(5) Cette médiation peut être directe, quand il y a contact avec l'utilisateur, ou bien indirecte, lorsqu'on intervient à travers un système préalablement élaboré. La veille, qui permet d'obtenir des informations pertinentes et utiles pour le bon fonctionnement de l'entreprise, représente aussi l'une des fonctions essentielles de notre profession.
- La démarche produit, pour sa part, se rapporte à la création ou à la distribution d'un produit documentaire. Cette fonction de production d'information exige de réunir un certain nombre de qualités : esprit de synthèse, sens de l'initiative, créativité,... De la synthèse à la revue de presse, en passant par la mise en place d'un logiciel adapté à certains besoins, les produits documentaires pourront être très variés.
- La démarche pédagogique, enfin, qui correspond, entre autres, à la fonction formation des utilisateurs. Cette dernière peut englober tous les domaines touchant de près ou de loin à l'information. Ainsi, le professionnel de l'I-D sera amené à enseigner son savoir et savoir-faire au sujet des sources pertinentes d'information, aux outils documentaires et aux techniques de recherche.
II. Une approche plurielle de l'information
Le rapport avec l'information peut fortement varier selon le contexte professionnel. Si la microdocumentation, c'est-à-dire " la recherche d'une information ou d'un document en réponse à une préoccupation donnée "(6), est la plus répandue, certains s'orientent plutôt vers la macrodocumentation. Celle-ci " pourrait se caractériser comme une vision satellitaire des stocks et flux d'information, et cela à l'échelle de la planète ou sur de longues périodes. (...) Cette macrodocumentation renvoie à des concepts de veille (stratégique, technologique, concurrentielle,...). Elle s'appuie sur des outils d'analyse statistique et probabiliste des flux d'information et plus particulièrement de bibliométrie, de scientométrie, d'infométrie. " (7)
À l'information de retrouvage dont le principe consiste à collecter des documents, les traiter et les ranger de façon à les retrouver facilement dès que le besoin s'en fait sentir, s'oppose l'information de découverte. Dans ce cas, il s'agit de " partir de l'existence de gisements d'information et de documentation et [s'employer] à chercher à en faire sortir quelque chose sans connaître pour autant le mode de constitution de ces gisements. " (8) Cette démarche de découverte peut par exemple se concrétiser par une navigation dans des systèmes hypertextuels d'information.
La gestion des flux d'information est mise en avant par les partisans du zéro stock. Les personnes communiquant sur l'Internet ou bien les techniciens échangeant des données formalisées à travers de l'EDI (échange de données informatisées) entrent dans cette catégorie. D'autres restent fidèles à la gestion des stocks qui consiste à accumuler des quantités de documents et d'informations au sein de l'entreprise. Toutefois, il paraît préférable de ne pas s'attarder sur cette dichotomie flux/stock, le principal étant la valorisation des gisements de connaissances. Il est, par ailleurs, possible de faire une distinction entre le stock structuré, où les documents ont été indexés et classés avant leur stockage, et le stock non structuré qui résulte d'une simple accumulation, sans aucun balisage ni repérage.
Le professionnel de l'I-D peut s'impliquer dans une intervention en amont, en participant à la création d'un document tel que revue de presse, revue des sommaires ou bien journal interne. En revanche, il lui arrive de participer à une intervention en aval lorsqu'un document doit être sauvegardé avant sa disparition.(9)
Alors que certaines informations ont une vocation culturelle / sociale, d'autres remplissent plutôt une vocation stratégique. Dans ce cas, il s'agit de répondre aux préoccupations économiques et/ou politiques essentielles de l'entreprise. (10)
S'il est possible de diffuser une information brute, c'est-à-dire non retravaillée et transmise telle quelle, on est plus souvent amené à offrir une information élaborée. Le but est alors d'apporter de la valeur ajoutée au contenu même de l'information ou sur les commentaires autour de celle-ci. En outre, l'information trouvée pourra être structurée, suivant par exemple la norme SGML (Standard Generalized Markup Language). Les documents trouvés sont alors construits de façon à faciliter le retrouvage. A l'inverse, on peut travailler sur une information non structurée qui tend à être prédominante sur le réseau des réseaux. On parle alors d'information circulante, ouverte et vivante.
Enfin, l'information et les documents traités peuvent venir du monde extérieur ou bien du patrimoine propre à l'entreprise. Il conviendra de gérer soit le patrimoine externe, soit le patrimoine interne (11), en concentrant ces deux tâches dans le cadre d'une globalisation fonctionnelle de l'information-connaissance au sein de l'entreprise. C'est, en effet, les mêmes techniques, les mêmes savoir-faire et les mêmes compétences qui sont requises pour traiter une base d'archives sous Notes et interroger un site Web extérieur.
|cc| Fabrice Molinaro - 1998 - janvier 2004.
Notes :
1. Marie-France Blanquet, La fonction documentaire - Etude dans une perspective historique, in Documentaliste - Sciences de l'information, Vol 30, No 4-5, 1993, p 201.
2. Didier Frochot, Comment situer le service documentaire dans la structure générale de l'entreprise, in Documentaliste - Sciences de l'information, Vol 32, No 6, 1995, p 305-306.
3. Marie-France Blanquet, op. cit. , p 203.
4. Laurent Bernat, Pour en finir avec la crise d'identité des documentalistes !, mémoire soutenu à l'INTD, 1994, p 86.
5. Eric Sutter, Les profils de compétence des professionnels de l'information et de la documentation, in Documentaliste - Sciences de l'information, Vol 31, No 3, mai-juin 1994, p 168.
6. Jean Michel, Technologies, usages et management de l'information - regard historique et prospectif - impact sur
les hommes et la société, Communication au séminaire de Kotor (Yougoslavie), juin 1996, p.7
Disponible sur Internet : http://michel.jean.free.fr/publi/JM284.html
7. Idem
8. Idem
9. Laurent Bernat, op. cit. , p 80.
10. Ibidem, p 80-81.
11. Ibidem, p 80-82.