Une protection récente ; un état d'esprit différent
La protection des programmes d'ordinateurs par la propriété intellectuelle est très récente, plus récente que les programmes d'ordinateurs eux-mêmes. Nous fêterons même, le 3 juillet 2005, les vingt ans de la protection du logiciel par le droit d'auteur en France. Bien sûr, d'autres pays lui avaient accordé une protection un peu avant, mais c'est tout de même très récent. Ceci explique aussi l'habitude qu'ont prise les développeurs de ne pas considérer leur création comme protégeable. Par ailleurs, avec beaucoup de réalisme, ils considèrent que développer du code-source relève autant de la création intellectuelle que de l'application de routines (c'est un terme du jargon des développeurs) qui sont largement inspirées d'autres programmes. En des termes plus choisis, nombre d'informaticiens reconnaissent qu'ils sont des nains juchés sur les épaules des géants qui les ont précédés...
Les origines de la protection par le droit d'auteur
La première étude évoquant la protection du logiciel par le droit d'auteur fut publiée aux États-Unis en 1964. Deux ans plus tard, le Copyright Office américain acceptait la première protection de logiciel par le copyright. L'idée ne pénétra les mentalités européennes que dans les années 1970, et encore celle-ci fut-elle difficilement acceptée, la doctrine se divisant sur la question de l'originalité (empreinte de la personnalité de l'auteur) dans une telle réalisation. La jurisprudence fut tout aussi divisée au départ. Le courant qui admettait la protection s'appuyait sur l'analogie avec les scenarii, les compositions musicales, ou les mises en scène, toutes créations qui sont sans nul doute protégées par le droit d'auteur. Pour mettre fin à l'incertitude, la loi du 3 juillet 1985, complétant sur beaucoup de points la loi du 11 mars 1957, allait admettre la protection des logiciels par le droit d'auteur. Elle prévoyait cependant que par exception, les droits des logiciels développés par des employés étaient dévolus à l'employeur. La disposition réside aujourd'hui dans l'article L.113-9 du code de la propriété intellectuelle. Elle fut aménagée par la loi du 10 mai 1994, transposant la directive sur la protection des programmes d'ordinateurs du 14 mai 1991.
Spécificité du statut du logiciel au regard des principes du droit d'auteur
On a affaire à une adaptation pragmatique du droit d'auteur pour les besoins de l'industrie du logiciel. C'est dans cette perspective qu'on peut mieux comprendre l'atteinte à quelques principes essentiels du droit d'auteur.
D'une part, les droits patrimoniaux sur « les logiciels et leur documentation » sont dévolus par volonté de la loi à l'employeur, dès lors que ceux-ci sont créés par un ou plusieurs employés, à condition que ces créations soient réalisées « dans l'exercice de leurs fonctions ou d'après les indications de leur employeur ». Cette règle porte atteinte au principe selon lequel un auteur garde la propriété de son œuvre quelle que soit la relation de travail qui le lie à un employeur ou à un client (art. L.111-1 al.3). Cette règle de dévolution des droits à l'employeur est aujourd'hui présentée comme l'exception qui confirme la règle de non cession des auteurs, salariés ou agents publics, à leur employeur, dans tous les autres cas de création d'auteur.
D'autre part, si un logiciel est fourni bogué par un employé à son employeur, celui-ci doit pouvoir le faire corriger par un autre salarié sans se heurter au droit à l'intégrité de l'œuvre, droit moral de l'auteur, droit personnel, inaliénable et transmissible aux seuls héritiers. Pour éviter ce blocage pratique, la loi a donc prévu une atténuation du droit moral : selon l'art. L121-7, l'auteur d'un logiciel ne peut s'opposer à la modification de son œuvre dans la mesure où cette opération ne porte atteinte ni à son honneur, ni à sa réputation.
C'est un bel exemple de pragmatisme qui tord un peu le cou aux grands principes et fait donc hurler les tenants de l'orthodoxie du droit d'auteur. À ce jour, cette exception est encore la seule de ce type dans le code, mais elle fait école puisqu'une prochaine exception, prévue dans le projet de loi qui vient les 6 et 7 juin 2005 en débat à l'Assemblée nationale (1ère lecture), devrait limiter le droit d'auteur des agents publics en se calquant sur ce modèle (cf. titre II du projet de loi).
Des protections concurrentes
Le logiciel peut être l'objet d'autres protections dans l'arsenal de la propriété intellectuelle.
Le nom du logiciel peut déjà être protégé en tant que marque, de sorte que le contrefacteur du logiciel porterait en plus atteinte au droit sur la marque.
Dans certains cas qui s'y prêtent, le logiciel peut aussi être déposé au titre des dessins et modèles.
Mais la protection le plus souvent revendiquée pour les logiciels est celle du brevet. Nous renvoyons sur ce sujet à l'article d'André Bertrand et Grégoire Derousseaux.
|cc| Didier Frochot — juin 2005